Saints NICÉTAS, abbé en Bithynie (824) et JOSEPH l'Hymnographe, moine à Thessalonique (886), défenseurs des saintes icônes

  Fête : 3 avril

Le saint dont nous allons décrire les belles actions naquit à Césarée, en Bithynie. Son père se nommait Philarète ; il était en grande réputation dans cette ville à cause de la vie irréprochable qu'il y menait. Il donna des preuves de son éminente vertu quand Dieu retira de ce monde l'épouse qu'il lui avait donnée, et avec laquelle il travaillait à acquérir les plus héroïques vertus du christianisme ; car cette pieuse femme étant morte huit jours après avoir mis au monde le petit Nicétas dont nous parlons, ce père affligé résolut, par une inspiration céleste, de quitter le siècle dont il connaissait la malice, et de se retirer en quelquelieu solitaire où il fût inconnu à tous ses parents. Pour exécuter ce projet, il confia son fils Nicétas aux soins de sa grand mère, après néanmoins lui avoir coupé les cheveux, et l'avoir offert à Dieu comme un autre petit Samuel, à qui il souhaita et donna toutes sortes de bénédictions. Ensuite il s'en alla et ne pensa plus qu'à la grande affaire de son salut. L'histoire ne marque point la suite de sa vie, qui ne peut avoir été que très-heureuse mais pour son fils Nicétas, il ne fut pas plus tôt en état de discerner le bien d'avec le mal, et la corruption du monde d'avec la sainteté de la vie des anciens ermites, qu'il dit adieu à tous ses parents et à tous ses amis, pour aller jouir, en un lieu écarté, des délices de la vie solitaire.

Pour réussir en son dessein, il alla trouver un saint vieillard qui vivait dans l'exercice de très-grandes mortifications, dans une pauvre grotte bâtie sur le bord d'une rivière, dans un désert. Ayant l'esprit fort docile et ne cherchant qu'à être instruit, il apprit, en fort peu de temps, de ce bon maître, toutes les règles de la vie solitaire et religieuse ; le saint vieillard, découvrant en son disciple de belles dispositions pour vivre en communauté et y rendre de grands services, lui conseilla d'aller au monastère de Médice, fondé depuis peu sur le mont Olympe par saint Nicéphore (qui en était le supérieur), sous l'invocationde saint Serge, et avec la règle des Acémètes. Nicétas obéit à ce conseil ; il alla se présenter et fut reçu en ce monastère ; il y Et de si grands progrès dans la vertu, qu'au bout de quelque temps il fut jugé digne de recevoir le caractère sacré de la prêtrise, qui lui fut conféré par saint Taraise, patriarche de Constantinople.

Quelque temps après, Nicéphore reconnut en lui tant de prudence et tant de vertu, qu'il lui confia entièrement la conduite de ses religieux ; afin de lui donner lieu, néanmoins, de n'être occupé qu'à faire observer la régularité pour le spirituel, le saint abbé lui donna pour procureur un autre religieux d'éminente vertu, appelé Athanase. C'était une chose digne d'admiration que de voir ces deux sages religieux, l'un veillant sur le spirituel, et l'autre sur le temporel, travailler également à leur sanctification, sans que leurs grands soins leur fissent rien diminuer des austérités qu'ils avaient entreprises.

La piété singulière de ces deux saints personnages paraissait surtout lorsqu'ils étaient occupés à la célébration de la sainte messe, Nicétas en qualité de prêtre, et Athanase lui servant de diacre. Le premier paraissait comme saisi d'un si profond respect étant à l'autel, qu'on eût dit qu'il voyait Jésus-Christ de ses yeux corporels ; et le second, je veux dire le diacre Athanase, était d'ordinaire si recueilli et si élevé dans la contemplation de ce haut mystère, qu'il ne pouvait arrêter le torrent de ses larmes ; le peuple se faisait un bonheur d'assister à une cérémonie si édifiante, à un sacrifice offert par des mains si pures.

Le bienheureux Nicétas se trouva, quelque temps après, privé de la plus douce consolation qu'il pouvait avoir sur la terre, en perdant premièrement Athanase, son intime ami, et ensuite le bienheureux Nicéphore, qu'il regardait comme un vrai père : ces vertueux personnages moururent tous deux pour aller recevoir la récompense de leur insigne piété. L'affliction de Nicétas fut augmentée par le poids de la charge que tous les religieux lui imposèrent, le choisissant pour succéder à Nicéphore sous lequel il avait gouverné jusque-là. On ne fut pas trompé dans ce choix : car on vit, dans la personne de ce digne abbé, un parfait modèle de toutes les vertus religieuses ; il veillait tellement sur le temporel de la maison, à la place d'Athanase, qu'il ne négligeait rien néanmoins de tout ce qui avait rapport à la parfaite régularité. Il était lui-même une règle vivante, car on voyait en sa conduite tout ce qu'il exigeait des autres.

Une vie si exemplaire et si innocente, accompagnée d'une parfaite humilité et d'une simplicité extraordinaire, lui firent mériter le don des miracles : il chassait les démons des corps des possédés, rendait la parole aux muets et l'usage du parfait raisonnement aux insensés, et opérait plusieurs autres merveilles que l'on pourra voir dans le récit entier de sa vie donné par son disciple Théoctériste.

Mais nous ne pouvons omettre les combats qu'il eut à supporter pour la foi. L'empereur Léon l'Arménien, renouvelant l'hérésie des Iconoclastes, ou briseurs d'images, que la pieuse impératrice Irène avait comme éteinte, excita contre les orthodoxes une nouvelle persécution. Il avait fait assembler un faux Concile dans l'église de Sainte-Sophie. Voyant que les évêques qui s'y réunirent ne voulaient point acquiescer aux propositions des hérétiques, il fit appeler tous les chefs des monastères dans son palais pour les faire condescendre à ses volontés ; mais il ne put rien gagner sur ces coeurs invincibles, qui demeuraient fermes dans les sentiments de la foi orthodoxe ; il résolut alors, après avoir usé des voies de douceur, d'exercer sur leurs personnes de grandes cruautés ; et comme Nicétas était un des plus recommandables, et celui qui encourageait le plus les autres à demeurer constants dans leur foi, il le fit jeter dans un horrible cachot, dont la seule odeur était insupportable. Quelques impies, sans religion, joignirent les insultes et les outrages à ce supplice pour plaire davantage à l'empereur. Le saint supporta cette persécution avec une générosité admirable, étant bien aise de souffrir et de mourir même, s'il l'eût fallu, pour une telle cause : mais le conseil de l'empereur ayant jugé qu'il était à propos d'éloigner ce grand homme, dont la réputation était trop connue par tout le pays, on le fit conduire en un lieu fort éloigné, et on l'enferma dans un château champêtre, où on lui fit souffrir de nouvelles persécutions. On eut la dureté de le laisser en un lieu tout découvert, sans aucun meuble et même sans lit : il était contraint de supporter, en plein hiver, les pluies, les neiges, le froid et les autres incommodités d'une si rude saison, sans que personne eût aucune compassion pour lui dans cet état. On le laissa dans cette triste demeure, privé de tout secours, environ l'espace d'un an ; ensuite, on le conduisit encore plus loin, sous la garde d'un cruel et barbare conducteur : mais le saint, animé de l'esprit des martyrs persécutés, conservait une grande joie en son coeur d'avoir été trouvé digne de souffrir tant de maux pour la défense de la vérité.

Un an après, l'empereur, voulant ménager les esprits pour les faire condescendre à ses volontés, fit venir à Constantinople tous les éveques et tous les abbés ; plusieurs furent assez lâches pour acquiescer aux désirs du prince, dont ils craignaient l'indignation. Quant à ceux qui persévéraient dans la ferme résolution de mourir plutôt que de trahir leur conscience, l'empereur leur fit exposer malicieusement qu'on exigeait seulement d'eux qu'ils communiquassent une seule fois avec le patriarche Théodose, qui avait été mis sur le trône épiscopal en la place du véritable patriarche, envoyé en exil. Ne pénétrant pas assez le dessein du prince, et n'apercevant pas le piège qu'on leur tendait, ceux-ci allèrent trouver le pieux abbé Nicétas dans la prison où on le tenait enfermé, et ils lui firent entendre tant de raisons pour l'engager à venir avec les autres communiquer une seule fois avec le nouveau patriarche, qu'il se laissa gagner, non par lâcheté, ni pour éviter les peines de l'exil et de la prison, mais par un motif de soumission à la volonté de tant de grands hommes, qui le sollicitaient à faire une démarche qu'il ne croyait pas dangereuse pour le fond de la cause. Nicétas et les autres Pères conférèrent donc encore avec Théodose comme l'empereur le souhaitait, sans néanmoins acquiescer aux erreurs qu'il soutenait ; et l'assemblée étant finie, tout le monde eut la liberté de s'en aller dans son pays ; mais le saint abbé Nicétas, plus clairvoyant que les autres et plus zélé que ses confrères pour les intérêts de l'Eglise, aperçut bientôt qu'il avait commis une faute, et que la démarche qu'il avait faite pouvait avoir de grandes suites ; au lieu de s'en retourner content comme les autres dans son monastère, il pensa à faire une très-rude pénitence, et à chercher les moyens de réparer le mal qu'il croyait avoir fait. Guidé par ce sentiment, il monta sur un vaisseau qui le conduisit dans l'île de Proconèse, vers les côtes de l'Hellespont ; mais une nouvelle lumière lui fit connaître qu'il était plus à propos qu'il réparât sa faute dans le lieu même où il l'avait commise.

Nicétas donc, étant prêt à souffrir le martyre s'il le fallait, revint à Constantinople, où il déclara sans crainte qu'il reconnaissait avoir mal fait de communiquer avec le faux patriarche Théodose. L'empereur ayant appris ce qui se passait, lui commanda de retourner en son monastère, sinon qu'il le ferait punir comme il le méritait. Le généreux confesseur répondit à ce prince, qu'il ne craignait nullement ses menaces, et qu'il était bien aise de lui faire savoir qu'on l'avait engagé faire une démarche qu'il ne devait pas faire, et que le seul respect pour tant de vénérables vieillards la lui avait fait faire ; qu'au reste, il s'en repentait, et qu'il n'était point de sa communion ; mais qu'il s'en tenait l'ancienne tradition de l'église, et des saints Pères qui l'avaient précédé.

L'empereur donna aussitôt ordre à un officier, nommé Zacharie, de le tenir enfermé sous sa garde. Zacharie obéit à son prince mais il connaissait si parfaitement le mérite de Nicétas, qu'il le traita avec toute sorte de douceur, et il avait un si grand respect pour sa personne, qu'il n'osait le regarder en face. L'empereur, averti de ce bon accueil que Zacharie faisait au saint confesseur, envoya Nicétas en exil dans une île fort éloignée, sous le commandement d'un très-impie magicien, Anthime, surnommé Caïphe à cause de sa vanité. Ce méchant homme, pour se maintenir dans les bonnes grâces des hérétiques et de l'empereur, jeta le bienheureux Nicétas dans un obscur et profond cachot où le saint était privé de la lumière du jour et du commerce de tous les hommes ; il lui donnait pour toute nourriture, par jour, quelque morceau de pain bis et tout moisi, qu'il lui faisait jeter par le soupirail de la basse-fosse où il était, et, pour sa boisson, il ne lui donnait que de l'eau corrompue. Cet impie croyait gagner par là quelque chose sur l'esprit du saint confesseur, et l'obliger à se rendre aux volontés du prince ; mais Nicétas, qui avait compris quelle était la gloire et le bonheur de ceux qui souffrent la persécutionet et la mort même pour les verités de la foi, demeura inébranlable ; il était plus résolu que jamais à donner de bon coeur sa vie, plutôt que d'approuver des hérésies.

L'invincible confesseur resta cinq ou six ans dans cette captivité, supportant des peines inconcevables ; mais si son corps était dans la gêne en son cachot, son esprit jouissait d'une liberté souveraine : car, outre le haut degré d'oraison où il fut élevé, Dieu le favorisa encore du don des miracles ; il délivra, par ses prières, son ami Zacharie, qui avait été pris par les barbares lorsqu'il allait en la province de Tharse ; et trois jeunes frères, qui connaissaient son insigne mérite, furent encore sauvés d'un naufrage évident en invoquantson nom. Mais enfin Dieu se contentant de la volonté sincère que Nicétas avait de répandre son sang et de donner sa vie pour sa gloire, le rendit vainqueur de la malice de ses ennemis ; car l'empereur Léon, ayant été massacré au pied même des autels, le jour de Noël l'an 820, la paix fut rendue à l'Eglise et Nicétas,jouissant du privilége accordé à tous les autres confesseurs, sortit de sa prison, moins content de cette liberté, que si on lui eût fait souffrir la mort pour la cause qu'il défendait.

Ce généreux confesseur, ne se voyant plus soumis à la cruauté des tyrans, et n'ayant plus d'ennemis qui lui livrassent de combats, devint lui même son persécuteur, et s'arma contre son propre corps, pour achever, par le glaive de la pénitence, le sacrifice qu'il aurait souhaité consommer dans la persécution par le martyre. Il chercha donc une solitude où il pût accomplir son dessein ; il en trouva une qui était un peu éloignée de la ville de Constantinople ; il s'y bâtit une petite retraite où il menait une vie plus angélique qu'humaine ; mais les nouvelles austérités qu'il y pratiquait, ajoutées aux extrêmes duretés qu'on lui avait fait souffrir pendant l'espace de six ans dans la basse-fosse où il avait été jeté, le conduisirent bientôt au tombeau. Il tomba extrêmement malade, et après plusieurs jours de langueur, pendant lesquels il s'était disposé au dernier passage commun à tous les hommes, il rendit paisiblement son esprit à Dieu, le 3 avril 824.

On ne sut pas plus tôt son décès dans la ville de Constantinople, que tout le monde témoigna de la douleur et du respect : on implorait en toute rencontre le secours de ce vénérable personnage, qui avait fait voir une constance apostolique pour la défense de la foi. Théophile Ier, archevêque d'Ephèse, et Joseph, archevêque de Thessalonique, assistèrent à ses funérailles, et conduisirent son saint corps en son monastère de Médice. Lorsque ce dépôt sacré fut arrivé à ce monastère, on le mit dans le sépulcre de saint Nicéphore, que saint Nicétas avait fait bâtir lui-même de son vivant.


Sources :

« Saint Nicétas, abbé », dans Paul Guérin, Les Petits Bollandistes : du 26 mars au 23 avril, t. IV, Paris, Bloud et Barral, 1876, p.531 (en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k30734t/f182.item)