Saint SABINIEN, diacre, martyr à Condat (480)

  Fête : 23 décembre

Saint Sabinien fut un des plus pieux moines de Condat, et un des plus glorieux disciples de saint Romain. Il est probable qu'il était originaire de la Séquanie, quoique nous ne connaissions sûrement ni son pays, ni sa famille. Il s'efforçait de marcher sur les pas de son abbé, unissant, comme lui, le travail des mains à la prière. En effet, il était chargé de diriger le moulin que les moines avaient construit, pour les besoins de la communauté, à quelque distance du monastère de Condat, sur le courant de la Bienne. Il gardait aussi les réservoirs de poissons destinés aux usages des frères, et montrait dans ses fonctions autant de zèle que d'habileté.

Sabinien était diacre, et l'emploi spécial dont il était chargé ne l’empêchait pas de remplir avec exactitude tous les devoirs de son ordre ; car son historien nous dit qu'il était digne, par la sainteté de sa vie, la pureté de ses mœurs et l'éminence de ses vertus, d'être appelé le vrai disciple de saint Etienne, dont il continuait le ministère. Le moulin de Condat était placé un peu au-dessous du monastère, au fond de la vallée. Malgré cet éloignement, Sabinien était si fidèle à la règle, que toujours il assistait exactement à toutes les heures de l'office, même la nuit, et s'y trouvait souvent avant tous les autres frères. Dieu récompensa tant de ferveur, et lui donna, comme à plusieurs autres moines de Condat, des grâces merveilleuses et le don des miracles.

Sabinien habitait un petit logement attenant au moulin. Il remplissait sa charge avec soin, et nous voyons qu'il veillait pendant la nuit, soit pour travailler, soit pour prier auprès de son foyer. Il était habituellement seul dans sa maison. Mais pendant le jour, les frères venaient quelquefois travailler au moulin, lorsque Sabinien avait besoin de leur secours pour exécuter quelque réparation ou quelques travaux plus importants. Un jour, il les avait appelés afin qu'ils l'aident à réparer le batardeau qui conduisait les eaux de la rivière sur les roues du moulin. Il s'agissait d'élever le niveau du courant, en resserrant son lit, et de le diriger avec plus de rapidité vers les tournants. Pour cela, Sabinien fit planter, de chaque côté du canal, deux rangs de pieux, entrelacés de branches d'osier ou de saule, et y fit jeter un mélange de paille et de pierre, afin que ces barrages fussent assez solides pour retenir les eaux dans le lit qu'on voulait leur donner. Tandis que les moines étaient occupés à enfoncer et à serrer la paille entre les pieux pour former la digue, un serpent énorme se montra subitement entre les claies, et y disparut aussitôt. Les frères, craignant d'être atteints de ses morsures en continuant leur travail, cherchèrent à découvrir le monstre, et passèrent ainsi une partie de la journée sans oser remettre la main à l'ouvrage. Alors se manifesta la foi du saint diacre Sabinien. « Pourquoi, leur dit-il, interrompre ainsi notre travail, et craindre encore ce reptile, qui servit autrefois d'enveloppe au tentateur des hommes ? » Puis il pria un des frères de faire sur ses pieds et ses mains le signe sacré de la croix du Seigneur, et, armé de ce signe tout-puissant, Sabinien entra aussitôt sans crainte dans le lieu même où s'était enfoncé le serpent. « Voyons maintenant, dit-il en s'adressant au démon, dont le monstre n'était à ses yeux que l'instrument, toi qui nous dresses continuellement des embûches, je ne crains plus tes morsures et je te foule aux pieds ». Les frères admiraient sa foi et son courage, et se disaient les uns aux autres : « Vraiment, notre lévite est du nombre de ceux à qui le Sauveur a fait de si belles promesses dans l’Évangile en leur disant : « Voici que je vous donne puissance de marcher sur les serpents et sur les scorpions, et sur toute la force de l'ennemi, et rien ne vous nuira ».

Les moines de Condat avaient à lutter contre les éléments, contre les difficultés de la nature, pour défricher et faire fructifier un pays aussi sauvage que la région qu'ils habitaient. On voit qu'ils faisaient, à leur manière, les endiguements nécessaires pour utiliser les cours d'eau de la vallée. Sous la direction de saint Romain et de saint Lupicin, ils appropriaient à la culture de vastes terrains jusque-là déserts. Mais les obstacles naturels n'étaient pas les seuls qu'ils eussent à combattre. Dieu, qui permit aux génies du mal de s'asseoir un jour parmi les anges, laisse aussi quelquefois ces esprits de ténèbres s'introduire ici-bas, même d'une manière visible, parmi ses serviteurs et ses élus, pour les tenter et éprouver leur vertu, afin de la rendre plus glorieuse. C'est ainsi que Sabinien, dans son humble cellule, fut en butte aux plus violentes attaques du démon, qui le tourmentait la nuit et le jour, ne lui laissant quelquefois, dit son biographe, pas même un seul instant de repos. Il lui faisait souffrir toutes sortes d'incommodités, agitant et ébranlant sa demeure, et l'effrayant par des visions monstrueuses. Mais, comme un autre Antoine, le saint diacre lui opposait la vigilance et la prière. Soutenu par la foi la plus vive, il chassait l'esprit impur en invoquant le nom de Jésus-Christ.

La vertu qui brillait surtout dans Sabinien, c'était une inaltérable chasteté. L'ennemi des hommes, jaloux d'une vie si pure, essaya de le séduire par les attraits de la sensualité. Il présentait à Sabinien les images les plus lascives, les fantômes les plus voluptueux. Mais le saint diacre armait son cœur du bouclier de la prière, et dédaignait les voluptés dont le tentateur cherchait à éveiller le désir dans son âme. « Quoi que tu fasses, disait-il, ô ennemi de nos âmes, le Christ me soutient, et tu ne saurais triompher de ma constance. Mon cœur est protégé par l'étendard de la Passion du Sauveur, et tu ne pourras le corrompre par le plaisir, ni l'abattre par la terreur ». L'historien ajoute que plusieurs fois le démon apparut visiblement au serviteur de Dieu, pour le tenter et le tourmenter, et qu'un jour même, voulant le décourager et le pousser à bout, il le frappa si violemment sur la joue, qu'il en fut tout blessé et meurtri ; que le lendemain, lorsque Sabinien se rendit au monastère, il raconta aux autres frères ce qui lui était arrivé, répandit l'huile sainte sur sa blessure, et retourna ensuite à sa cellule, où le démon n'essaya plus de le tourmenter dans la suite.

Saint Sabinien mourut à Condat, vers l'an 480, suivant Chastelain, qui indique sa fête au 23 décembre. Son souvenir resta en vénération parmi ses frères, et son nom fut inscrit, avec le titre de saint, dans le calendrier du martyrologe du Jura. La chronique rimée de Condat le cite, avec le titre de saint, comme ayant brillé par ses miracles, sa science et ses vertus, avec un autre disciple de saint Romain, le bienheureux Pallade.


Sources :

« Saint Sabinien, diacre, moine de Condat, au diocèse de Saint-Claude », dans Paul Guérin, Les Petits Bollandistes : du 1er décembre au 31 décembre, t. XIV, Paris, Bloud et Barral, 1876, p.422 (en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k307444/f428.item.texteImage)