Saints FRIARD et SECONDEL, ermites près de Nantes (577)

  Fête : 1 août

Friard vint, au monde vers l'an 511. Ses parents étaient de pauvres laboureurs de la paroisse de Besne, au diocèse de Nantes, en Bretagne, mais qui avaient la crainte de Dieu et observaient fidèlement ses commandements. Suivant leur exemple, notre saint s'adonna de bonne heure à la piété, et y fit en peu de temps des progrès considérables. Il jeûnait et priait avec ferveur, fréquentait dévotement les sacrements de la Pénitence et de l'Eucharistie, assistait avec joie aux divins offices, et on ne voyait en lui que des exemples de chasteté, de modestie et d'humilité. Son occupation ordinaire était de labourer la terre et de travailler à la campagne pour gagner sa vie. Aux heures du repas, qu'il achevait en peu de temps, se contentant souvent d'un peu de pain et d'eau, il se retirait à l'écart, et se mettait à genoux pour répandre son âme devant son Dieu. Dans le plus fort de son travail, il ne perdait point le souvenir de sa présence : il avait toujours l'esprit élevé vers lui et quelques versets des psaumes dans la bouche. Il ne parlait guère avec les hommes, mais son entretien ordinaire était avec son souverain Seigneur. La pureté admirable dont il était doué faisait qu'il ne pouvait souffrir dans ses compagnons aucune action ni aucune parole lascive et déshonnête. Lorsqu'ils y tombaient, il les en reprenait avec force, et, s'ils ne s'en corrigeaient pas, il se retirait de leur compagnie, de peur d'avoir la vue ou l'ouïe souillée de quelque chose d'indécent. Il faisait souvent le signe de la croix sur lui et sur toutes les choses qu'il maniait, et avait presque toujours sur la langue ces paroles du Roi-Prophète : « Notre secours est dans le nom du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre ».

Cependant ses compagnons de travail, qui n'avaient guère de piété, se moquaient de sa dévotion et en faisaient entre eux des railleries. Un jour qu'un essaim de guêpes, s'étant levé dans le champ, les contraignit de s'enfuir sans pouvoir continuer la moisson, à cause des piqûres et des plaies sanglantes qu'ils en recevaient, ils lui dirent en se moquant : « Eh bien ! Friard, toi qui fais tant de signes de croix sur tes yeux, tes oreilles et ta bouche, et qui l'imprimes même sur les chemins par où tu dois passer, que ne chasses tu par ce signe ces insectes importuns qui nous empêchent de moissonner ? » Friard, jugeant qu'il y allait de la gloire de Dieu et de l'honneur de la Croix qu'il voyait méprisés, de faire quelque chose d'extraordinaire en cette occasion, se mit à genoux et pria instamment le Seigneur de faire que ces mouches ne les incommodassent plus. Il sentit aussitôt que sa prière était exaucée, et dit à ses compagnons : « Allons, retournons au travail ; ces insectes ne nous feront plus de mal ». Ils le suivirent, et à peine eut-il fait le signe de la croix et dit : « Notre secours est dans le Nom du Seigneur », que les guêpes se retirèrent dans un trou de la terre, d'où elles ne sortirent plus. Ce miracle commença à le faire estimer, et fit une telle impression sur ses compagnons, qu'ils n'osaient plus se moquer de lui, mais admiraient au contraire sa vertu et en disaient du bien à tout le monde.

Un autre jour, il tomba du haut d'un grand arbre ; cette chute, pendant laquelle il répéta sa prière habituelle : « Notre secours est dans le Nom du Seigneur », ne lui fit aucun mal. Plein de reconnaissance envers Dieu, qui le protégeait si visiblement, il résolut de le servir dans la solitude. Il communiqua ce dessein à saint Félix, évêque de Nantes, qui l'approuva et lui associa deux compagnons l'abbé Sabaudus, qui avait autrefois eu des emplois à la cour de Clotaire, roi de France, et un diacre nommé Secondel. Friard se retira avec eux dans une île de la Loire nommée Vindunet, où il commença les exercices pénibles d'un véritable ermite. Sabaudus ne persévéra pas avec lui car, s'ennuyant de n'être plus abbé, et de n'avoir plus les satisfactions que sa prélature lui donnait auparavant, il s'en retourna dans son cloître mais peu de temps après il fut assassiné : saint Grégoire de Tours dit que l'on n'a pu en savoir la cause. Secondel eut plus de constance, et Friard mena avec lui une vie si pure et si parfaite, qu'ils paraissaient plutôt des anges que des hommes. Leurs cellules, néanmoins, étaient peu séparées, et ils ne se parlaient que rarement, de peur que l'entretien mutuel ne diminuât leur application à Dieu, et la ferveur avec laquelle ils s'élevaient continuellement dans le ciel.

Cependant le démon trouva moyen de tromper Secondel car, lui étant apparu sous la figure de Jésus-Christ, il sut le persuader qu'il était déjà arrivé à l'état de perfection, et qu'il devait sortir de son ermitage pour aller travailler au salut dès âmes, l'assurant qu'il autoriserait sa parole par de grands miracles. Secondel sortit sans en rien communiquer à saint Friard, et s'en alla prêcher la parole de Dieu dans tout le voisinage. Il fit en même temps plusieurs guérisons qui paraissaient miraculeuses et qui lui attirèrent l'estime et l'admiration de tout le monde de sorte qu'on le publiait partout comme un grand saint. Ce succès lui enflant le cœur de plus en plus, il repassa dans l'île pour faire part à notre saint de ces bonnes nouvelles. Mais Friard, qui était éclairé d'en-haut, et qui, d'ailleurs, aperçut en lui des manières toutes séculières qu'il avait déjà contractées par ses relations avec les hommes, reconnut aussitôt l'artifice du démon. Il lui dit donc en soupirant et en pleurant : « Malheur à vous, mon frère car assurément le tentateur vous a trompé. Allez, retournez dans votre cellule, humiliez-vous devant Dieu et faites pénitence de cette faute ». Ces paroles dissipèrent tout le nuage dont l'esprit de Secondel avait été couvert, il s'aperçut lui-même de l'illusion à laquelle il avait déféré, et, sentant en lui que ses travaux évangéliques n'avaient eu pour effet que des mouvements de vaine gloire, il en gémit du plus profond de son cœur, se jeta aux pieds de Friard, et le pria d'intercéder auprès de notre Seigneur, afin que cette légèreté lui fût pardonnée. « Prions ensemble », lui dit Friard, « et Dieu, qui est infiniment miséricordieux, ne manquera pas de vous être propice ». Ils se mirent donc en oraison ; le démon, ayant encore pris l'apparence du Seigneur, apparut de nouveau à Secondel et lui fit une sévère réprimande de ce que, contre son ordre, il avait quitté l'assistance de tant d'âmes qui se perdaient, pour revenir dans son ermitage. Mais ce saint diacre ne se laissa pas séduire une seconde fois. « Je sais », dit-il au démon, « que tu n'es point Jésus-Christ, mon Sauveur, mais un séducteur qui veut me faire perdre la couronne de la persévérance ; si tu veux que je change de sentiment, imprime sur ton front le signe salutaire de la croix, que Jésus-Christ a toujours aimée, et tu me donneras sujet de te croire ». Le démon n'en fit rien, et Secondel ayant fait le signe de la croix sur lui-même, il s'évanouit. Mais il ne tarda pas à revenir car s'étant fait accompagner d'une troupe de malins esprits aussi méchants que lui, il le vint retrouver et le battit si cruellement qu'il le laissa demi-mort. Ce fut là le dernier effort de cet ennemi des hommes contre le bienheureux diacre car, depuis ce temps-là, il ne l'inquiéta plus et le laissa en paix. Secondel persévéra donc plusieurs années dans sa profession, et après avoir longtemps pleuré sa légèreté, il mourut saintement, plein d'années et de bonnes oeuvres. Son corps fut inhumé dans l'église de Besné, où il a fait plusieurs miracles. Il en est le second patron.

Pour saint Friard, qui lui survécut, après qu'il lui eut rendu les devoirs de la sépulture, il revint à son ermitage et s'y enferma. Un jour, se promenant dans l'île, il trouva une branche d'arbre que le vent avait abattue. Il la ramassa, et elle lui servit de bâton plusieurs années. Mais lorsqu'elle fut entièrement sèche, il la replanta et l'arrosa avec soin. Enfin elle prit racine, porta des fleurs et des fruits, et devint un si bel arbre qu'on le venait voir par curiosité. Il s'en aperçut, et, craignant la vaine gloire, il le fit arracher ; en cela il ne fut pas moins admirable que par le miracle qu'il avait fait de lui rendre la vie, tout sec qu'il était. Une autre fois, ayant rencontré un autre arbre chargé de fleurs que le vent avait déraciné, il en eut pitié et pria Dieu que tant de belles fleurs ne fussent point perdues. Ensuite il en coupa toutes les racines avec sa serpe et l'ayant fait pointu par le pied, il le ficha en terre. Sa confiance en Dieu ne fut pas inutile : à l'heure même l'arbre jeta de nouvelles racines, et, tirant le suc de la terre, il conserva ses fleurs tant qu'il fallut, et porta la même année de fort beaux fruits. Ces prodiges et beaucoup d'autres attiraient grand nombre de personnes à sa cellule, pour se recommander à ses prières, et il ne manquait pas de leur donner des instructions salutaires pour les mettre dans la voie du bonheur éternel.

Enfin, le temps de sa récompense arriva ; il fut attaqué d'une fièvre violente, et sut qu'il allait mourir. Il en avertit ceux qui l'assistaient, et, leur marquant le jour où ce bonheur devait lui arriver, il les pria de l'annoncer à saint Félix, son évêque, afin qu'il voulût bien l'assister à cette heure dernière. Saint Félix se trouva alors si occupé que, ne pouvant y aller, il manda au saint qu'il le suppliait d'attendre un peu, et qu'aussitôt que ses affaires seraient expédiées il ne manquerait pas de se rendre à sa cellule. C'est ainsi que ces amis de Dieu disposaient du temps de la vie et de la mort, comme s'ils en eussent été les maîtres absolus. Les messagers étant revenus auprès de saint Friard, qui semblait être près d'expirer, lui rapportèrent la réponse de saint Félix. « Levons-nous donc », dit-il, « et attendons notre frère » ; et en même temps la fièvre le quitta, et il se leva comme s'il n'eût plus eu mal. Lorsque saint Félix fut dégagé, il le vint trouver, suivant sa promesse. Alors cet homme céleste, qui gémissait en lui-même du retardement de son bonheur, lui en fit une plainte amoureuse, et lui dit : « Ô saint Prêtre, vous me faites longtemps attendre, et vous retardez extrêmement le voyage que je dois faire à l'éternité ». La fièvre le reprit aussitôt, il se coucha, reçut du bienheureux évêque le baiser de paix et tous les secours que l'Église donne aux moribonds, et, le matin suivant, étant muni des Sacrements, de la bénédiction épiscopale et de la prière, il rendit son âme entre les mains de son Créateur. Ce fut le 1er août 577. A l'instant même sa cellule trembla, et elle fut remplie d'une odeur très agréable. Saint Félix et ses clercs célébrèrent ses obsèques, et firent porter son corps dans l'église de Besne, lieu de sa naissance, où Dieu l'a honoré de plusieurs miracles.


Sources :

« Saint Friard, reclus au diocèse de Nantes, patron des laboureurs et saint Secondel ou Second, diacre et solitaire », dans Paul Guérin, Les Petits Bollandistes : du 24 juillet au 17 août, t. IX, Paris, Bloud et Barral, 1876, p.194 (en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k30739j/f200.item.r=junien)